Questions-réponses pifométriques

51% des Français défavorables à de nouvelles autoroutes…selon un sondage commandé par le concessionnaire de l’A69

Si l’on en croit un sondage IFOP réalisé à la demande des opposants à l’autoroute entre Castres et Toulouse, 61% des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne sont favorables à l’abandon de l’A69. Le concessionnaire, Atosca, a aussitôt répliqué en dégainant deux autres études d’opinion. Selon OpinionWay, 53% des Français seraient au contraire favorables à l’A69.

Mais 40 % des 1025 personnes interrogées par OpinionWay avouent ne même pas connaître ce projet qui passionne et divise surtout le Lauragais et la vallée du Girou…que peu de Picards ou d’Alsaciens sauraient situer sur une carte. Le sondage commandé par Atosca comportait une première question sur les nouvelles autoroutes en général, mais aussi les nouvelles lignes LGV et les nouveaux aéroports. Et là, surprise ! Seulement 48% des Français se déclarent « tout à fait » ou « plutôt favorables » à de nouvelles routes à péages, contre 51% « plutôt pas » ou « pas du tout » d’accord. Seulement 1% s’en bat l’oeil.

Atosca avait aussi demandé une « enquête qualitative » à Odoxa focalisé sur les seuls habitants du « pays de l’Autan et Cocagne ». Soit 49 communes autour de Castres-Mazamet, les vallées de l’Agout et du Thoré et la Montagne Noire. Sans surprise, seulement 27% des 600 personnes interrogées par téléphone entre février et mars dernier ont « vaguement » entendu parler de l’A69. Et 75% approuveraient massivement une autoroute… qui permettrait en 2025 de gagner une quinzaine de minutes pour voir le Castres Olympique se prendre une rouste au stade Ernest Wallon contre un modique supplément de 17€ (aller-retour) !

Curieusement, Atosca s’est bien gardé de sortir de ses cartons un dernier sondage réalisé par l’IFOP. Le même institut qui a accepté de questionner les habitants du Tarn et de la Haute-Garonne pour les opposants à l’A69 au téléphone avait utilisé le même échantillon réduit (600 personnes) pour le compte de La Dépêche du Midi en 2016. Avec la même « méthodologie », l’IFOP assurait alors que l’autoroute serait plébiscitée à 76%. 68% jugeaient même « urgent » de lancer les travaux. Maintenant que le chantier est lancé, une majorité de Castrais et de Toulousains seraient désormais prête à dire stop selon l’IFOP ?

Si ça se trouve, bien plus de 75% des heureux habitants du « pays de Cocagne » auraient plébiscité une route gratuite qui ne bouffe pas des centaines d’hectares de terres agricoles en rasant des centaines d’arbres… si Odoxa leur avait posé la question. Et 100% des supporters du CO seraient prêts à payer pour rendre la monnaie de leur pièce au Stade Toulousain (selon mon petit doigt).

A69 : une « votation citoyenne » pour trancher la querelle entre élus locaux ?

« On risque d’avoir l’autoroute la plus chère et la moins fréquentée de France », s’alarme Martine Daste Moron, conseillère municipale (PS) d’opposition à Castres. L’élue socialiste concède qu’il n’est pas « facile » de se déclarer contre un projet attendu comme le Messie dans la sous-préfecture du Tarn. Mais elle ne sent pas « isolée ». « Nous serons nombreux à manifester ce week-end dans la convivialité », annonce l’élue de la coordination « Castres Ecologique et Solidaire ». Cette sorte de « NUPES » avant l’heure, constituée à la faveur des élections municipales de 2020 par différentes formations politiques de gauche et des « citoyens » refusant les étiquettes partisanes, disposerait encore de 150 militants, selon Martine Daste Moron. L’unique élue PS de Castres se félicite du soutien personnel affiché par Olivier Faure en faveur d’un « moratoire ». Elle déclare ne pas comprendre « l’entêtement » de Carole Delga,  présidente socialiste de la région Occitanie, pour l’A69.

Le positionnement pour ou contre l’autoroute des élus locaux ne saurait toutefois se résumer aux chicayas pro ou anti Nupes qui font rage au sein du PS. « Il ne peut pas y avoir de solution autoroutière au réchauffement climatique », assène Maxime Lacoste. Cet élu municipal d’opposition de Saint-Sulpice-la Pointe, petite ville de 10.000 habitants dirigée par le premier maire tarnais se revendiquant d’Emmanuel Macron à la faveur d’une élection municipale partielle en 2017, raconte avoir lancé au printemps une collecte de signatures d’élus par courrier électronique. L’objectif affiché de ce militant qui se définit « de gauche écolo », sans étiquette politique précise, était de contrer l’association des maires du département se félicitant du lancement du chantier de l’A69 en revendiquant le soutien unanime de 900 élus tarnais. Une première liste d’une centaine de noms est publiée en mai sur le blog Mediapart de Maxime Lacoste. « Il est urgent de changer de modèle d’aménagement du territoire », proclame-t-il. Une seconde liste de plus de 150 signatures a suivi en élargissant la collecte à la Haute-Garonne. Elle en compte désormais 300. « Seuls 21% des élus ont répondu à l’appel du président de l’association des maires du Tarn », fait valoir le professeur des écoles de Saint-Sulpice-la-Pointe en sortant la calculette.

Le plus notable de ce contre-listing est la présence d’une majorité de simples conseillers municipaux face aux « grands élus » à la mode sénatoriale de la liste adverse. « Les maires sont frileux », constate Maxime Lacoste. L’opposant de Saint-Sulpice dit tout haut ce que l’élue socialiste de Castres n’ose pas exprimer, même mezzo voce : les maires seraient victimes de « pressions » politiques. Sandrine Mousson, maire (sans étiquette) de Teulat (Tarn), est l’une des rares à s’opposer frontalement à l’autoroute qui va « couper en deux » son village de 500 habitants. L’élue, qui veut agrandir l’école de sa commune pour abriter une quatrième classe en 2024, s’est récemment étonnée de voir sa demande de subvention écartée par la préfecture. « La commune paierait-elle son opposition au projet de l’A69 », demande le conseil municipal dans un communiqué ?

Sandrine Mousson, qui avait rendez-vous début octobre avec le nouveau préfet du Tarn, a préféré boycotter l’ultime « concertation » organisée à la demande du ministre des Transports à la sous-préfecture de Castres le 13 octobre dernier. Elle figurait non pas sur la liste des élus invités à 14h, mais à la réunion suivante destinée aux associations d’opposants. D’autres élus ont toutefois réussi à forcer la porte de ce conclave improvisé en urgence après l’arrêt de la grève de la faim et de la soif de Thomas Brail et des « écureuils » jugés sur des arbres pour tenter de stopper le chantier.

« Nous étions finalement six ou sept opposants, mais la proportion aurait pu atteindre 50% en comptant les élus qui ont préféré rester dehors », témoigne Christine Arrighi, député (EELV) de Haute-Garonne. Dans la salle, l’ambiance est électrique. « Le maire de Castres a préféré sortir par une porte dérobée quand j’ai pris la parole. Il n’a pas supporté une réunion contradictoire » rapporte Didier Cujives, maire (PS) de Paulhac. L’élu, qui siège aussi au département de la Haute-Garonne après un mandat de conseiller régional dans la majorité de Carole Delga, a pris la défense des grévistes de la faim, caricaturés en « barbus chevelus » par le sénateur (centriste) tarnais Philippe Folliot. « Ce ne sont pas des punks à chiens » assure Cujives. Il en sait quelque chose. Sa propre fille, Victoria, 29 ans, faisait partie des 14 grévistes de la faim. « Elle n’avait jamais milité nulle part », assure ce proche d’Arnaud Montebourg.

Didier Cujives était l’un des rares élus locaux à manifester en avril sous la pluie avec son écharpe tricolore lors d’un premier rassemblement qui avait réuni plusieurs milliers d’opposants aux portes de Castres. L’ancien chef d’entreprise compare l’A69 au projet de deuxième aéroport de Toulouse, autre « grand projet inutile » contre lequel le maire de Paulhac s’était mobilisé il y a 20 ans déjà. « Je prends moins l’avion pour aller à Paris, j’essaie de prendre le train et je roule en voiture hybride » témoigne l’élu socialiste. Il relève que 11 élus du conseil départemental de la Haute-Garonne ont signé la pétition de Maxime Lacoste.

Le nouveau président (PS) du département, Sébastien Vincini, proche d’Olivier Faure, ne semble toutefois pas disposer à ouvrir un nouveau front avec son homologue du Tarn Christophe Ramond ou Carole Delga. Dans les rangs de la majorité régionale, les 14 élus communistes se déclarent opposés de longue date à une autoroute payante, mais ont préféré se réfugier dans l’abstention pour ne pas rompre l’alliance avec la présidente d’Occitanie. Aucun élu communiste ne sera présent à la manifestation ce week-end. Le petit groupe des 7 élus écologistes qui ont préféré rester dans la majorité de Carole Delga répète de son coté son opposition déclarée à l’A69 et sort de sa manche l’idée d’une « votation citoyenne », suggérée par José Bové durant la dernière campagne électorale.

Un « référendum » pour trancher le dialogue de sourds entre élus  ? Un sondage IFOP commandé par les opposants assure que 82% des personnes interrogées plébiscitent cette sortie non prévue sur les plans de l’A69. Selon cette étude d’opinion réalisée auprès d’un mini-échantillon de 600 habitants du Tarn et de la Haute-Garonne la semaine dernière, 61% des personnes interrogées se déclarent favorables à l’abandon d’un projet jugé « utile, mais pas indispensable » à 58%.

Carole Delga, plus que jamais Charlie

Gaëlle Paty est fugitivement montée sur scène devant près de 700 personnes réunies lundi soir à l’hôtel de région de Toulouse. La sœur de l’enseignant tué il y a trois ans a ensuite regagné sa place au premier rang, entre le recteur de l’académie de Toulouse Mostafa Fourar et Carole Delga. La présidente de région avait prévu de longue date de rendre hommage au prof d’histoire-géo à travers un livre qui célèbre sa mémoire. Crayon Noir est un roman graphique « qui mérite une grande diffusion » estime Patrick Cohen, le journaliste invité à animer la soirée dans la grande salle de l’espace Charles de Gaulle. « Il peut aider à toucher les jeunes consciences » ajoute l’avocat de Charlie Hebdo Richard Malka, autre invité de Carole Delga. « C’est un livre pas polémique qui se lit comme un thriller » assure Gaëlle Paty. Libraire à Marciac (Gers), elle confesse derrière ses lunettes rondes n’avoir jamais lu de romans graphiques auparavant.

Carole Delga lance la soirée avec une (vraie) minute de silence à la mémoire de Samuel Paty, Dominique Bernard « et l’honneur de la République ». La présidente de région donne le ton aussitôt après dans son discours. « Nous ne sommes pas de cette gauche qui baisse les yeux », lance tout de go cette opposante déclarée à Jean-Luc Mélenchon. Dans la journée, Carole Delga a signé une tribune avec d’autres élus opposés à l’accord électoral de la Nupes pour pousser le PS à rompre avec le leader de LFI, coupable à ses yeux de ne pas désigner le Hamas comme une organisation terroriste. « Nous avons une pensée pour les victimes du Hamas et du peuple palestinien lui aussi sous le joug islamiste », ajoute la présidente de région. A Toulouse, le parti de Jean-Luc Mélenchon appelait une heure plus tôt à se rassembler silencieusement devant le rectorat, en hommage aux deux enseignants « victimes du fanatisme religieux ».

Pour Carole Delga, c’est la République qui est visée. «  La République a fait l’école comme l’école a fait la République », estime cette héritière assumée de Jules Ferry et de la légende des « Hussards Noirs » célébrée par Charles Péguy. La présidente de la région Occitanie se présente aussi en héritière de la République espagnole. « La République, nous l’avons vu tomber. Ici, nous sommes plus proches de Barcelone et Madrid que de Paris », lance Carole Delga. Elle justifie avoir fait projeter les caricatures de Charlie Hebdo sur la façade des hôtels de région de Toulouse et Montpellier après l’attentat dont a été victime l’hebdomadaire satirique. « Certains nous l’ont reproché, mais ce n’était pas de la provocation » assure celle qui a encore tenu à inviter le directeur de Charlie Hebdo à ses Rencontres de la gauche à Bram (Aude) , quelques jours plus tôt. Pour enfoncer le clou, la résidente de région avait invité à sa soirée Iannis Roder. Ce prof agrégé d’histoire-géo en Seine-Saint-Denis indique avoir participé à un livre collectif prémonitoire il y a plus de vingt ans « qui n’a pas été pris au sérieux » à l’époque. « Ce matin encore, des élèves m’ont demandé pourquoi on organisait une minute de silence pour Dominique Bernard et pas pour les Palestiniens », témoigne cet enseignant engagé qui dirige l’Observatoire de l’Education à la Fondation Jean Jaurès. Carole Delga définit de son coté « l’esprit Charlie » comme une volonté « d’éducation populaire face aux menaces ».

La région Occitanie a acheté 500 exemplaires du Crayon Noir pour mettre ce roman graphique à disposition des lycéens. L’ouvrage a également reçu le soutien financer de la région Ile de France.

Dick, de Martres-Tolosane à Sidi Mokhtar

Ce week-end, Dick Annegarn aura les yeux rivés sur le ciel du sud de la Haute-Garonne et la tête au sud de la Méditerannée.

Le troubadour « nolandais », qui partage sa vie entre le Maroc et la campagne à une cinquantaine de kilomètres de Toulouse, organise la 20ème édition de son Festival du Verbe à Martres-Tolosane. L’évènement est la partie la plus visible d’une action au long cours engagée en faveur de la littérature orale, chère au chanteur-poète qui tend des ponts entre les rappeurs d’aujourd’hui, les troubadours d’hier et la musique folk au nom de « l’oraliture » revendiquée dans les Caraïbes. Dans un champs en contrebas du camping du Moulin, Arthur H et Charlélie Couture vont se produire samedi avec leurs filles. Les artistes seront interviewés sur scène par des enfants de CM2 de l’école du village. Rebelote dimanche avec Mathieu Chedid et sa soeur.

Ce festival résolument familial tranche avec les grosses machines qui attirent les foules et les têtes d’affiches en faisant flamber le prix des billets de 10% en moyenne ces dernières années. Gratuit, le festival tourne grâce à une quarantaine de bénévoles. « Les artistes ne viennent pas pour l’argent, je leur demande de faire beaucoup avec peu », dit Dick. Organisé en plein air, le festival est toutefois exposé aux intempéries. Les prévisions de Météo France assurent que le vent et la pluie ne gâcheront pas l’évènement de Martres-Tolosane.

Le cataclysme n’a en revanche pas épargné l’autre pays de coeur du chanteur le week-end dernier. Dick Annegarn a lancé une cagnotte en ligne pour venir en aide aux sinistrés. L’argent sera remis aux habitants d’un village proche de Sidi Mokhtar par un ami chauffeur de taxi, qui se porte garant du bon usage des sommes collectées. On peut le croire sur parole.  » Là-bas, le cadastre est remplacé par la parole juste  » nous confiait le chanteur, admiratif, dans une grande librairie toulousaine en réglant les derniers détails de son festival.

Plus belle sera la chute (des températures)

La ville de Toulouse a procédé au démontage dans la nuit des rubans installés rue Alsace-Lorraine en juin. Des rafales de vent d’Autan à plus de 75km/h avaient commencé à décrocher les chères « ombrières » de Jean-Luc Moudenc dès la semaine dernière.

La ville de Toulouse a investi 300.000€ pour suspendre ces rubans argentés et dorés conçus par une PME portugaise sur la principale rue commerçante du centre ville, et une partie de la place du Capitole en juillet. Face aux critiques de Maxime Le Texier (Archipel Citoyen) lui reprochant de s’être fait refourgué « des décorations de Noël », le maire de la ville rose a demandé à un ingénieur de Météo France de mesurer scientifiquement l’efficacité de ces voiles d’ombrage. La ville assure avoir constaté une chute de 4°. Elle aura juste oublié de consulter sa propre notice d’installation, précisant que le dispositif serait démonté en cas de vent supérieur à 70km/h. L’Autan a commencé à s’en charger, gratuitement.

Toulouse : « comme sur des roulettes »

Le spectaculaire déplacement de l’arc de triomphe s’est déroulé plus vite que prévu

Les spectateurs sont venus en nombre pour assister à l’événement, retransmis sur trois écrans géants. L’arc de triomphe érigé à la fin de la première guerre mondiale à Toulouse a commencé à bouger insensiblement à 12h45 lorsque le maire de la ville rose a symboliquement appuyé sur le bouton rouge lançant l’opération. Initialement programmée à 14h, l’horaire de cette spectaculaire opération a été avancé pour permettre à Jean-Luc Moudenc d’assister dans l’après-midi aux obsèques du général Georgelin dans son village natal du sud de la Haute-Garonne. Protégé par un lourd exosquelette métallique orange de 300 tonnes, le monument de 15m de haut repose sur trois remorques bleues dotées de 19 essieux chacune. Pilotées à distance, chaque paire de roue peut tourner indépendamment des autres. En à peine un quart d’heure, l’ensemble qui pèse la bagatelle de 1300 tonnes a déjà pivoté de 90° pour se mettre dans l’axe du double alignement de platanes des allées François Verdier.

le monument de près de 1000 tonnes a été reculé de 35m après avoir pivoté à 90° pour passer entre les platanes

C’est pour épargner ces 300 arbres majestueux, plantés peu de temps après la construction du monument en 1920, que ce convoi vraiment exceptionnel s’est ébranlé. Alerté par un collectif de riverains émus d’apprendre que son projet de troisième ligne de métro risquait de faire disparaître 50 platanes, Jean-Luc Moudenc n’a pas hésité à demander aux ingénieurs de revoir leurs plans pour la station François Verdier. « Evidemment, ça coûte un peu plus cher », concède le maire de Toulouse. La facture devrait atteindre 8 millions d’euros, alors que la ligne C du métro représente un investissement de plus de 3 milliards.

« C’est la solution qui paraissait la plus folle qui a été retenue » confie son premier adjoint, Jean-Michel Lattes. Le président de Tisséo, le syndicat mixte chargé des transports en commun de l’agglomération, se souvient que les ingénieurs avaient d’abord pensé se contenter de consolider l’édifice avant le passage d’un des cinq tunneliers attendus l’an prochain, 35 m plus bas. Ils ont renoncé devant les risques d’effondrement. Il a ensuite été envisagé de démonter le monument, pierres par pierres. « Impossible en raison du mélange de pierre et de béton de l’attique, plus lourd que les colonnes » explique Rémi Desalbres, architecte du patrimoine qui a planché pendant deux ans avant de préconiser de mettre le fragile et massif monument sur des roulettes.

l’architecte du patrimoine Rémi Desalbres a planché pendant deux ans sur le dossier

Les quatre statues de 7 tonnes chacune ornant les angles du monument ont toutefois été sciées en avril pour ne pas risquer de les voir tomber durant son lent déplacement. Elles reposent au pied d’un platane, protégées dans des cages en bois. Ces « trophées » seront bientôt recouverts et restaurés, indique Rémi Desalbres. Le massif monument légèrement allégé, a fini de gagner son emplacement provisoire, une trentaine de mètres plus loin, en moins de deux heures chrono. Les ingénieurs, prudents, en prévoyaient initialement trois. Tout s’est passé comme sur des roulettes. Des artistes de cirques ont été recrutés pour animer cette mémorable journée, suivie par 8.000 personnes selon Tisséo. « Les Toulousains qui n’ont pas pu assister à l’événement pourront se rattraper au retour », annonce déjà Jean-Luc Moudenc . Le maire promet de renouveler cette opération à grand spectacle pour la remise en place du monument en 2027. La mise en service de la troisième ligne de métro est prévue fin 2028.

reportage réalisé pour Le Point

Le coup de semonce aux anti-ours de l’Ariège

« Nous ne sommes pas de serpillières émotionnelles », est venu dire Eric Buffard à la barre du tribunal correctionnel de Foix. Le témoignage de ce solide agent de l’ex-Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) représente l’autre version des histoires d’attaques d’ours et de bergères désemparées racontées à satiété la veille au ministre de l’Agriculture. La face B du même disque. « On a le sentiment d’être instrumentalisés pour des raisons politiques », déplore le fonctionnaire de la nouvelle police environnementale constituée depuis la fusion de l’ONCFS au sein de l’OFB (Office français de la biodiversité). Eric Buffard, qui a bourlingué en Guyane, en Nouvelle-Calédonie ou à la Réunion avant d’être affecté en Ariège, raconte le comité d’accueil à forte teneur en testostérone qui l’attendait lorsqu’il est venu établir le constat nécessaire à l’indemnisation des éleveurs après le dérochement d’un troupeau de brebis sur l’estive de Saleix en août 2017 : échanges verbaux musclés, coups de feu tirés en l’air, les quatre pneus de son véhicule de fonction retrouvés crevés à son retour. Les autres agents qui l’accompagnaient se sont constitués parties civiles, mais n’ont pas osé venir parce qu’ils ont peur, selon Eric Buffard. « J’étais leur supérieur hiérarchique, si je n’avais pas déposé plainte, ils ne l’auraient pas fait », explique l’ancien conservateur de la réserve nationale de chasse d’Orlu à la présidente du tribunal. Ses collègues travaillent toujours en Ariège, lui a été affecté dans un autre département pyrénéen. Accusés d’être « juges et partie » parce que leur fonction leur impose de veiller sur le plantigrade, espèce protégée, les agents de l’OFB se sentent pris entre deux feux dans la « guerre de l’ours » qui fait rage dans les Pyrénées.

Désigné comme « le meneur » des anti-ours en Ariège par Eric Buffard, Philippe Lacube se défend de jeter de l’huile sur le feu. Le fondateur de l’ASPAP, association ariégeoise fédérant les éleveurs et les chasseurs férocement opposés au retour de l’ours, assure qu’il était présent sur l’estive en tant que « modérateur ». Il juge que la dizaine de coups de fusil tirés depuis une crête ne l’ont pas été « à bon escient ». Elu entre-temps à la présidence de la chambre d’agriculture, le dynamique éleveur-restaurateur des Cabannes doit surtout se défendre de complicité dans le tournage et la diffusion d’une vidéo qui a fait grand bruit, trois semaines après le dérochement de Saleix. Trente hommes cagoulés à la manière des indépendantistes corses y proclament « l’ouverture de la chasse à l’ours », avant de tirer des coups de fusil en l’air. « Une vidéo totalement disproportionnée », dit Philippe Lacube devant la présidente, Sun-Yung Lazare. L’enquête confiée à la brigade de gendarmerie de Saint-Girons a permis d’établir que la vidéo a été filmée avec un IPAD dans la nuit du 12 au 13 septembre 2017. Elle a été envoyée aux rédactions de La Gazette Ariégeoise, La Dépêche du Midi et France3 sous la forme de clés USB postées depuis Muret (Haute-Garonne), selon la longue et patiente instruction menée par les enquêteurs. Une quatrième clé USB a été retrouvée par les gendarmes lors d’une perquisition chez Célia Rumeau, journaliste à Terre d’Ariège, le journal de la chambre d’agriculture. Des analyses informatiques ont permis d’y retrouver des fichiers effacés relatifs à la famille et au restaurant de Philippe Lacube. L’enquête a également établi que la femme du président de la chambre d’agriculture s’était fait dérobé lors d’une semaine de vacances à Cerbère (Pyrénées Orientales) un IPAD du même modèle que celui qui a filmé le commando cagoulé. « Je ne pensais pas qu’on nous accuserait d’avoir un IPAD », réagit l’élu ariégeois qui s’étonne que les gendarmes ne soient jamais venu perquisitionner à son domicile ou au siège de ses entreprises. Son avocat, Me Vatinel, dénonce « un dossier d’instruction mal ficelé« . Les éléments matériels retenus par la juge d’instruction ne sont pas suffisantes pour constituer des preuves irréfutables. Il plaide la relaxe.

L’instruction bouclée en janvier 2023 après six ans de procédure a abandonné l’accusation de « destruction de l’ours par instigation », initialement retenue par les magistrats. « Aucun élément objectif ne permet d’établir l’existence d’un fait principal punissable dans un temps proche », reconnait l’arrête de renvoi de 26 pages signée par la juge Elise Allier. L’enquête concernant la mort d’un ours, tué d’un coup de fusil en juin 2020 sur une estive de la station de ski de Guzet, se poursuit. Mais le Parquet a visiblement renoncé à établir un lien entre ces différents épisodes de la « guerre de l’ours » en Ariège. Le procès de Foix peut se comprendre comme un coup de semonce adressé aux anti-ours les plus virulents, suspectés de passer de l’outrance verbale aux actes. Le procureur, Olivier Mouysset, a requis 4 mois de prison avec sursis et 2.000€ d’amende à l’encontre du président de la chambre d’agriculture de l’Ariège. Il s’est montré plus sévère à l’égard de Rémi Denjean, ancien responsable des Jeunes Agriculteurs également élu de la chambre, suspecté d’être l’homme qui tenait le fusil et un pistolet mitrailleur sur la vidéo : 6 mois de prison avec sursis et interdiction de porter une arme pendant 3 ans. Le procureur réclame enfin 2 mois de prison avec sursis pour son ami Jonathan Rives, accusé d’avoir fourni le fusil à pompes, et pour le vieil éleveur retraité qui avait menacé de « dérocher » les agents de l’OFB sur l’estive de Saleix. « Mes propos ont dépassé ma pensée », s’est excusé Christian Soulère devant le tribunal. L’éleveur avait aussi assuré qu’aucun ours ne sortirait vivant du Couserans pour s’installer en Haute-Ariège, fief de Philippe Lacube et des leaders de l’ASPAP. Olivier Mouysset a enfin réclamé au tribunal le retrait de la vidéo, toujours visible sur Internet. Une simple « mise en scène de mauvais goût, une parodie » selon Me Degioanni, autre avocat de la défense. Le tribunal rendra son jugement, « très attendu » comme l’a souligné le procureur, le 6 juin à 14h.

Les anti-ours de l’Ariège jouent l’émotion après le « bruit et la fureur »

Le ministre de l’Agriculture se jette dans la gueule du loup. Marc Fesneau vient évoquer le sujet qui fâche devant les élus de la chambre d’agriculture de l’Ariège : le pastoralisme et les prédateurs. Philippe Lacube, élu en 2019 à la présidence de la chambre, veut profiter de l’événement pour dire et répéter tout le mal qu’il pense de la réintroduction du plantigrade, lancée au siècle dernier dans le département limitrophe de la Haute-Garonne.

L’éleveur de bovins des Cabanes, au pied du plateau de Beille, est à la pointe de la contestation contre le retour des ours dans les Pyrénées. Il a longtemps été le principal animateur de l’association pour la sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées (ASPAP), fer de lance de la guérilla contre les lâchers d’ours. Comme la plupart des éleveurs et des élus de l’Ariège, Philippe Lacube considère que le prédateur a été « imposé » par l’Etat. Les premiers ours importés de Slovénie, avec l’accord du président des chasseurs de la Haute-Garonne et d’une poignée d’élus de communes de montagne qui ont créé le « pays de l’ours » dans le Comminges, se sont multipliés et ont fait souche dans le Couserans. Cette région naturelle de l’Ariège concentre aujourd’hui la majorité des 76 ours recensés dans le massif franco-espagnol et des naissances d’oursons constatées chaque année. L’éleveur ariégeois, qui préside aussi l’association des chambres d’agricultures des Pyrénées (ACAP) regroupant les 6 départements de la cordillère, réclame un « plan de décohabitation » du pastoralisme et des prédateurs.

L’ASPAP surfe sur l’émotion suscitée par la mort d’un homme en Italie, tué par un ours dans le Trentin alors qu’il s’entraînait pour un trail en montagne, pour réclamer un « transfert massif » des prédateurs. La question de la régulation de la population d’ours, y compris en utilisant des fusils comme cela se pratique pour les loups, est posée. Philippe Lacube plaide en faveur d’un « droit à l’auto-défense » des éleveurs. Avant la réunion prévue à Foix, il a tenu à accueillir le ministre de l’agriculture dans la bergerie de la famille Mirouze, victime de deux « dérochements » sur les pâturages de haute montagne où le troupeau est conduit chaque été: 162 brebis Tarasconnaises se sont précipité dans le vide en 2005 pour échapper au prédateur, puis à nouveau 265 en 2019 . « J’ai honte de vous montrer un troupeau décimé, hétérogène », dit l’éleveur à Marc Fesneau, au milieu du bêlement des brebis. Jean-Pierre Mirouze a ceint l’écharpe tricolore de maire de son village de Saint-Bauzeil (60 habitants) pour l’occasion et lit le petit papier sur lequel il a écrit son témoignage, visiblement ému. Coline, la jeune bergère qui garde 1.600 brebis depuis trois ans sur l’estive commune à six éleveurs, lui succède pour expliquer au ministre les difficultés d’application des mesures de protection recommandées (chiens de protection, parc électrifié) sur une estive particulièrement escarpée. Les témoignages d’éleveurs et de bergers se succèdent pour raconter leur vécu. « L’ours, c’est comme les dinosaures. S’il a disparu, c’est qu’il n’était pas adapté », résume un jeune agriculteur qui n’a visiblement pas envie d’être renvoyé à la préhistoire.

« C’est important de mettre des mots sur des chiffres », apprécie le ministre de l’agriculture. Des éleveurs du Couserans apostrophent la préfète sur son arrêté qui autorisait l’effarouchement des ours sur les estives, cassé à trois reprises par le tribunal administratif de Toulouse l’an dernier. « Est-ce que la justice est politisée », demande Jean-Pierre Mirouze ? L’éleveur laisse éclater sa colère contre les « Verts pastèques » qui ont déposé des recours. « Je ne commente pas les décisions de justice », répond prudemment le ministre avant de lâcher : « il y a des gens qui sont contre nous ». Un nouvel arrêté ministériel est en préparation pour « consolider » juridiquement les techniques d’effarouchements expérimentés depuis trois ans dans les Pyrénées, retoquées par le Conseil d’Etat. Elles sont réservées à des agents spécialisés de l’Office Français de la Biodiversité avec obligation d’utiliser des armes non-létales, l’ours étant une espèce strictement protégée. « Ils commencent par utiliser des feux d’artifices, puis ils passent à l’effarouchement sonore pour finir par des balles en caoutchouc », résume Coline, la bergère. Dans le nouveau projet d’arrêté, l’utilisation de cette version rurale du LBD est réservée aux gardes de l’OFB en état de légitime défense. Cette graduation dans la riposte laisse les éleveurs et les bergers qui ont fait le déplacement dans la bergerie de la famille sur leur faim. « On ne peut pas se défendre contre l’ours » résume Elodie, une éleveuse du Couserans élue à la chambre d’agriculture qui a abandonné l’élevage d’ovins viande pour se spécialiser dans les vaches laitières. Les éleveurs tiennent à dire au ministre qu’ils ne veulent pas être tenus pour responsables, en tant qu’employeurs, si un « accident » devait mettre aux prise un(e) berger(e) et un ours.

La visite matinale dans la bergerie de Saint-Bauzeil illustre la co-existence de deux logiques parallèles qui n’arrivent pas à se rencontrer. « On nous parle de bien-être animal, mais jamais du mal-être des humains », résume un éleveur. Les propriétaires de troupeaux mettent en avant un véritable traumatisme, difficilement chiffrable. « C’est pas un chèque qui va nous consoler », dit Jean-Pierre Mirouze. Les éleveurs font aussi valoir aussi les pertes indirectes subies, au-delà des indemnisations reçues parfois avec retard. Les brebis qui avortent en montagne après avoir été effrayées par l’ours, ce sont aussi des agneaux et des revenus en moins. De leur coté, les magistrats qui ont sanctionné les arrêtés préfectoraux autorisant les effarouchements ont été sensibles aux arguments des animalistes sur le risque d’avortement des ourses gestantes et de séparation des oursons avec leurs mères. La réunion avec le ministre a passé sous silence la mort d’un ours, tué d’une balle de fusil sur une estive. Marc Fesneau et la préfète de l’Ariège ont fait mine d’oublier que Jean-Pierre Mirouze a été condamné, avec d’autres responsables agricoles du département, pour avoir violemment perturbé une réunion d’associations environnementalistes à Labastide-de-Sérou. Ils ont fait appel. Le bruit et la fureur répandus depuis une décennie par l’APSAP dans le département rattrape même Philippe Lacube. Le président de la chambre d’agriculture est convoqué mardi au tribunal de Foix pour s’expliquer sur la diffusion d’une vidéo par un commando cagoulé qui réclamait « l’ouverture de la chasse à ours » dans le département.

La petite histoire « Elyséenne » du Rieutord, ruisseau qui voudrait retrouver sa nature dans les côteaux du Querçy

Le Rieutord est un modeste ruisseau des coteaux du Querçy qui ne méritait plus vraiment son nom occitan. Au fil des décennies, l’ancien cours d’eau « tordu » qui serpentait jadis à travers champs a été tellement redressé, contenu, domestiqué pour l’empêcher de déborder qu’il a finit par être réduit à l’état de tranchée, plus ou moins visible selon l’état de la végétation qui borde encore ses rives par intermittence. Ce long fossé totalement rectiligne se retrouve à sec une bonne partie de l’année. Il est aussi de plus en profond. « Depuis les années 90, je l’ai vu s’enfoncer d’un bon mètre » témoigne Christian Lestrade, 70 ans, maire de Vazerac (Tarn-et-Garonne). L’élu local préside aussi le syndicat mixte du bassin du Lemboulas (SMBL), rivière qui prend sa source à Lalbenque (Lot) avant de se jeter une cinquantaine de kilomètres plus loin dans le Tarn à Moissac. C’est à ce titre que cet ancien agriculteur a pu lancer un chantier d’envergure à l’échelle du modeste affluent de la rivière qui ne traverse même pas sa commune.

Depuis trois ans, le Rieutord a retrouvé ses méandres sur un peu moins de 200 mètres qui traversent une parcelle boisée. L’opération, réalisée lors de l’hiver 2020, a mobilisé des engins mécaniques pour creuser le nouveau cours sinueux du ruisseau et combler l’ancien lit. La principale difficulté fut d’acheminer le matériel et les 73 tonnes de matériau à travers champs. « On a fait venir un poids-lourd et on a fini avec un tracteur et une benne » rapporte Jérôme Scudier, l’un des deux techniciens-rivière du SMBL qui ont préparé et conduit le chantier. L’ancien lit n’a été que partiellement comblé pour laisser quelques mares. Des pieux ont été plantés en travers du nouveau parcours du ruisseau pour retenir les galets et le gravier qui en tapissent le fond. Facture totale : 28.100 € TTC. Quant aux bénéfices de l’opération, ils s’étalent sous la forme de la végétation typique d’une zone humide qui s’est rapidement implantée sur les berges. Le SMBL estime avoir créé 6.000 m2 de zone humide qui contribue au stockage de l’eau et à la réduction des périodes d’assecs du ruisseau. Le syndicat a en quelque sorte remplacé un « caniveau » destiné à évacuer l’eau le plus rapidement possible par une éponge qui la restituera lentement.

« Notre métier de technicien de rivière s’est longtemps résumé à entretenir la végétation des berges pour éviter les embâcles », témoigne Jérôme Scudier en évoquant les amas de branches et d’arbres morts formant des barrages naturels qui peuvent créer des inondations localisées. Ralentir le cours d’eau en le laissant vagabonder est une véritable révolution des mentalités. Les méandres retrouvés du Rieutord sont l’aspect le plus apparent du chantier. Mais le technicien insiste aussi, comme son président, sur les risques moins visibles causés par l’enfoncement du lit d’un cours d’eau trop rectiligne. « Si la rivière ne déborde plus, l’eau va plus vite en emportant les sédiments et creuse son lit plus profondément ». Un phénomène observé également sur un grand fleuve comme la Garonne, où la disparition du sable et des graviers laisse la roche à nue en privant les poissons migrateurs comme les saumons de leurs sites de reproduction. Un nouveau chantier de « recharge » du lit du Rieutord a été réalisé par le SMBL avec 220 tonnes d’apports de gravier pour 18.000€ TTC.

Il n’y a guère de poissons dans le Rieutord, trop souvent à sec en été, mais cela n’a pas empêché la fédération des pêcheurs de contribuer au financement des travaux au nom de la « restauration des milieux » et de la biodiversité. « La vie aquacole ne se limite pas à la vie piscicole » souligne Jérôme Scudier, en mentionnant les insectes et les batraciens qui peuplent le cours d’eau renaturé et ses abords. Les salamandres apprécient les mares héritées de l’ancien lit du ruisseau dans le bosquet débroussaillé pour le chantier, tout comme les sangliers et les bécasses chers aux chasseurs. Les naturalistes du conservatoire des espaces naturels, qui veillent sur la ZNIEFF (zone d’intérêt faunistique et floristique) du Lemboulas et ses affluents qui s’étend en amont jusqu’à la commune de Molières, ne pourront qu’applaudir au nom du Cuivré des Marais, un papillon rare figurant parmi toutes les espèces de plantes et d’animaux inventoriés dans le secteur.

Restent à convaincre les agriculteurs de l’intérêt de cette nouvelle technique de génie hydraulique rural, aux antipodes des pratiques antérieures. Le bulletin municipal de Vazerac ne craint pas d’ évoquer « les anciens travaux ayant dégradé le cours d’eau dans un but d’amélioration des rendements agricoles ». Christian Lestrade le dit de façon encore plus cash : « il faut reconnaître ses erreurs ». A 70 ans, l’agriculteur retraité s’emploie à convaincre ses anciens collègues qu’il n’a pas « retourné sa veste » en prêchant une solution « écologique ».

Une thèse de géographie présentée par Bénédicte Veyrac Ben Ahmed, fille d’un agriculteur du secteur, avait recensé 1240 exploitations agricoles sur le bassin du Lemboulas en 2012. « Il faut convaincre sans imposer », veut croire le maire de Vazerac. Six propriétaires ont donné leur accord pour l’opération de « reméandrage » du Rieutord. Deux autres chantiers ont été réalisés sur le bassin versant de Lemboulas depuis ce premier chantier-test et un quatrième est en cours de préparation. Le président du SMBL s’intéresse désormais aux 360 lacs collinaires recensés par la géographe de Vazerac pour sa thèse. L’histoire aurait enchanté Elysée Reclus, grand géographe qui avait consacré en 1869 un livre entier à l’histoire d’un ruisseau dans le département voisin du Lot-et-Garonne.

version longue d’un reportage pour illustrer un dossier de Libération consacré aux « reméandrages » des cours d’eau pour lutter contre la sécheresse

crédits photo : Satese 82 et SMBL

Toulouse : plus de manifestants dans les rues que d’électeurs d’Emmanuel Macron ?

Il pleut, il mouille, mais où sont les grenouilles ? Les deux salariés du siège de Météo France à Toulouse qui égayent régulièrement les manifs contre la réforme des retraites ont curieusement disparu mardi 7 mars alors que la pluie a refait son apparition aux alentours de midi. « Ils doivent être plus loin dans le cortège » dit Pierre, 40 ans, qui tient la banderole verte de l’établissement public qui concentre 1.500 chercheurs et techniciens dans la ville rose. Non syndiqué, le manifestant rapporte que l’entrée du vaste campus du Météopole était bloqué dès 6h30 du matin. Plusieurs autres rond-points stratégiques ont été occupés dès le début de la journée. Non pas en périphérie, comme lors des premières manifestations des Gilets Jaunes, mais au coeur même de la ville. Même le Grand Rond, dans le très calme quartier du Muséum et du Jardin des Plantes, a été bloqué pendant quelques heures par une poignée de militants déterminés. Ces diverses actions de blocage, essentiellement symboliques, ont été levées sans heurts. Une sorte de prélude à la manifestation de l’après-midi, une première à Toulouse où les syndicats défilent généralement le matin.

En dépit du mauvais temps, l’intersyndicale a revendiqué 120.000 participants dans le long cortège qui a une nouvelle fois envahi les boulevards du tour de ville. Bien plus que les 50.000 voix obtenues par Emmanuel Macron à Toulouse, s’est bruyamment réjoui le député Hadrien Clouet (LFI) sur Twitter. La police n’a compté de son coté que 27.000 manifestants. Face à cette disproportion habituelle, deux journalistes de Mediacités Toulouse ont tenté de réaliser leur propre estimation : 35.000 personnes sous les parapluies, selon le rédacteur en chef de ce média indépendant. Une petite centaine de Gilets Jaunes se sont invités en tête de cortège, devant la banderole de l’intersyndicale. Un petit jeu habituel à Toulouse. Le service d’ordre de la CGT, qui les avait expulsé manu-militari lors du défilé du 1er mai, a préféré cette fois ne pas intervenir pour éviter les échauffourées.

Dans la foule qui défile en bon ordre, on entend parfois l’hymne officieux des Gilets Jaunes : « on est là, même si Macron ne le veut pas ». Laetitia et Jean Sébastien ne chantent pas, mais marchent de concert sous la bannière de Liebherr Aerospace, filiale d’un important groupe suisse classé parmi les sous-traitants de premier niveau d’Airbus. Elle porte la chasuble orange de la CFDT, lui le badge rouge de la CGT. « Depuis le début du mouvement, on fonctionne en intersyndicale avec la CFE-CGC », expliquent les deux militants syndicaux. Les rangs derrière leur banderole ne sont guère fournis au regard des 1.200 salariés du site historique du nord de Toulouse et des 300 de la nouvelle usine, récemment construite dans le Tarn-et-Garonne voisin. Certains ont sans doute préféré manifester à Montauban avancent les délégués, d’autres ont peut-être été découragés par la pluie, mais « les ateliers étaient vides ce matin » assure Jean-Sébastien. « Même les employés de la cantine de l’entreprise étaient en grève », ajoute Laetitia.

« On sent bien que la base est derrière nous », assure Jean-Sébastien, 49 ans, qui défile pour la sixième fois sous la bannière Force Ouvrière d’Airbus. Ce délégué du syndicat majoritaire chez le constructeur aéronautique affirme que « même les cadres suivent le mouvement ». Alain, 57 ans qui défile un plus loin avec un collègue et un drapeau rouge du syndicat CFDT de la métallurgie, travaille aussi chez Airbus. Dans sa barbe, sa colère est froide comme la météo du jour. « On est gentils et calmes, mais rien ne se passe, on ne nous écoute pas ». Alain veut encore croire que les sénateurs pourront faire évoluer le texte, après « le fiasco de l’Assemblée ». Il a prévu de manifester une nouvelle fois mercredi, à l’appel cette fois des organisations féministes pour la journée internationale du 8 mars. Muriel, 31 ans, brandit justement une pancarte bricolée à la maison qui revendique une « retraite féministe ». Elle aussi sera à nouveau dans la rue ce mercredi à Toulouse. Salariée d’une association, Muriel souligne que les femmes sont plus mal loties que les hommes au moment de prendre leur retraite, car davantage à temps partiel avec des carrières en dents de scie. La militante féministe estime que la lutte historique des générations précédentes va se prendre de plein fouet le mur de la retraite après 60 ans.

Ce sentiment d’un retour en arrière anime aussi Jérôme, 54 ans, travailleur indépendant. Diplômé d’une grande école aéronautique de Toulouse , il cotise à la même caisse que les architectes ou les médecins libéraux et avoue ignorer encore à quel âge il pourra prendre sa retraite. « La seule chose dont je suis certain, c’est que j’ai déjà perdu 4 ans ces dernières années. Pour moi, ça ne sera pas avant 68 ou 69 ans. J’en arrive à me dire que je profiterai pas davantage de ma retraite que mon père, décédé à 85 ans ». En queue de cortège, trois députés LFI défilaient avec leur écharpe tricolores aux cotés d’élus socialistes. Le parti communiste a préféré manifester à part. Une brève échauffourée a éclaté avec les forces de l’ordre à l’arrivée du cortège au métro Jean Jaurès, quand les policiers ont interpellé une jeune manifestante.

Impossible à l’arrivée de retrouver les fameuses « grenouilles » de Météo France dans la foule. Mais un autre employé du très sérieux campus toulousain qui travaille avec de puissants ordinateurs à établir les prévisions météo des prochains jours et les modèles climatiques des années à venir, pas forcément « roses » avait tenu à jouer les « ambianceurs » à sa manière…

Version longue et en images d’un reportage réalisé pour Le Point