Questions-réponses pifométriques

51% des Français défavorables à de nouvelles autoroutes…selon un sondage commandé par le concessionnaire de l’A69

Si l’on en croit un sondage IFOP réalisé à la demande des opposants à l’autoroute entre Castres et Toulouse, 61% des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne sont favorables à l’abandon de l’A69. Le concessionnaire, Atosca, a aussitôt répliqué en dégainant deux autres études d’opinion. Selon OpinionWay, 53% des Français seraient au contraire favorables à l’A69.

Mais 40 % des 1025 personnes interrogées par OpinionWay avouent ne même pas connaître ce projet qui passionne et divise surtout le Lauragais et la vallée du Girou…que peu de Picards ou d’Alsaciens sauraient situer sur une carte. Le sondage commandé par Atosca comportait une première question sur les nouvelles autoroutes en général, mais aussi les nouvelles lignes LGV et les nouveaux aéroports. Et là, surprise ! Seulement 48% des Français se déclarent « tout à fait » ou « plutôt favorables » à de nouvelles routes à péages, contre 51% « plutôt pas » ou « pas du tout » d’accord. Seulement 1% s’en bat l’oeil.

Atosca avait aussi demandé une « enquête qualitative » à Odoxa focalisé sur les seuls habitants du « pays de l’Autan et Cocagne ». Soit 49 communes autour de Castres-Mazamet, les vallées de l’Agout et du Thoré et la Montagne Noire. Sans surprise, seulement 27% des 600 personnes interrogées par téléphone entre février et mars dernier ont « vaguement » entendu parler de l’A69. Et 75% approuveraient massivement une autoroute… qui permettrait en 2025 de gagner une quinzaine de minutes pour voir le Castres Olympique se prendre une rouste au stade Ernest Wallon contre un modique supplément de 17€ (aller-retour) !

Curieusement, Atosca s’est bien gardé de sortir de ses cartons un dernier sondage réalisé par l’IFOP. Le même institut qui a accepté de questionner les habitants du Tarn et de la Haute-Garonne pour les opposants à l’A69 au téléphone avait utilisé le même échantillon réduit (600 personnes) pour le compte de La Dépêche du Midi en 2016. Avec la même « méthodologie », l’IFOP assurait alors que l’autoroute serait plébiscitée à 76%. 68% jugeaient même « urgent » de lancer les travaux. Maintenant que le chantier est lancé, une majorité de Castrais et de Toulousains seraient désormais prête à dire stop selon l’IFOP ?

Si ça se trouve, bien plus de 75% des heureux habitants du « pays de Cocagne » auraient plébiscité une route gratuite qui ne bouffe pas des centaines d’hectares de terres agricoles en rasant des centaines d’arbres… si Odoxa leur avait posé la question. Et 100% des supporters du CO seraient prêts à payer pour rendre la monnaie de leur pièce au Stade Toulousain (selon mon petit doigt).

A69 : une « votation citoyenne » pour trancher la querelle entre élus locaux ?

« On risque d’avoir l’autoroute la plus chère et la moins fréquentée de France », s’alarme Martine Daste Moron, conseillère municipale (PS) d’opposition à Castres. L’élue socialiste concède qu’il n’est pas « facile » de se déclarer contre un projet attendu comme le Messie dans la sous-préfecture du Tarn. Mais elle ne sent pas « isolée ». « Nous serons nombreux à manifester ce week-end dans la convivialité », annonce l’élue de la coordination « Castres Ecologique et Solidaire ». Cette sorte de « NUPES » avant l’heure, constituée à la faveur des élections municipales de 2020 par différentes formations politiques de gauche et des « citoyens » refusant les étiquettes partisanes, disposerait encore de 150 militants, selon Martine Daste Moron. L’unique élue PS de Castres se félicite du soutien personnel affiché par Olivier Faure en faveur d’un « moratoire ». Elle déclare ne pas comprendre « l’entêtement » de Carole Delga,  présidente socialiste de la région Occitanie, pour l’A69.

Le positionnement pour ou contre l’autoroute des élus locaux ne saurait toutefois se résumer aux chicayas pro ou anti Nupes qui font rage au sein du PS. « Il ne peut pas y avoir de solution autoroutière au réchauffement climatique », assène Maxime Lacoste. Cet élu municipal d’opposition de Saint-Sulpice-la Pointe, petite ville de 10.000 habitants dirigée par le premier maire tarnais se revendiquant d’Emmanuel Macron à la faveur d’une élection municipale partielle en 2017, raconte avoir lancé au printemps une collecte de signatures d’élus par courrier électronique. L’objectif affiché de ce militant qui se définit « de gauche écolo », sans étiquette politique précise, était de contrer l’association des maires du département se félicitant du lancement du chantier de l’A69 en revendiquant le soutien unanime de 900 élus tarnais. Une première liste d’une centaine de noms est publiée en mai sur le blog Mediapart de Maxime Lacoste. « Il est urgent de changer de modèle d’aménagement du territoire », proclame-t-il. Une seconde liste de plus de 150 signatures a suivi en élargissant la collecte à la Haute-Garonne. Elle en compte désormais 300. « Seuls 21% des élus ont répondu à l’appel du président de l’association des maires du Tarn », fait valoir le professeur des écoles de Saint-Sulpice-la-Pointe en sortant la calculette.

Le plus notable de ce contre-listing est la présence d’une majorité de simples conseillers municipaux face aux « grands élus » à la mode sénatoriale de la liste adverse. « Les maires sont frileux », constate Maxime Lacoste. L’opposant de Saint-Sulpice dit tout haut ce que l’élue socialiste de Castres n’ose pas exprimer, même mezzo voce : les maires seraient victimes de « pressions » politiques. Sandrine Mousson, maire (sans étiquette) de Teulat (Tarn), est l’une des rares à s’opposer frontalement à l’autoroute qui va « couper en deux » son village de 500 habitants. L’élue, qui veut agrandir l’école de sa commune pour abriter une quatrième classe en 2024, s’est récemment étonnée de voir sa demande de subvention écartée par la préfecture. « La commune paierait-elle son opposition au projet de l’A69 », demande le conseil municipal dans un communiqué ?

Sandrine Mousson, qui avait rendez-vous début octobre avec le nouveau préfet du Tarn, a préféré boycotter l’ultime « concertation » organisée à la demande du ministre des Transports à la sous-préfecture de Castres le 13 octobre dernier. Elle figurait non pas sur la liste des élus invités à 14h, mais à la réunion suivante destinée aux associations d’opposants. D’autres élus ont toutefois réussi à forcer la porte de ce conclave improvisé en urgence après l’arrêt de la grève de la faim et de la soif de Thomas Brail et des « écureuils » jugés sur des arbres pour tenter de stopper le chantier.

« Nous étions finalement six ou sept opposants, mais la proportion aurait pu atteindre 50% en comptant les élus qui ont préféré rester dehors », témoigne Christine Arrighi, député (EELV) de Haute-Garonne. Dans la salle, l’ambiance est électrique. « Le maire de Castres a préféré sortir par une porte dérobée quand j’ai pris la parole. Il n’a pas supporté une réunion contradictoire » rapporte Didier Cujives, maire (PS) de Paulhac. L’élu, qui siège aussi au département de la Haute-Garonne après un mandat de conseiller régional dans la majorité de Carole Delga, a pris la défense des grévistes de la faim, caricaturés en « barbus chevelus » par le sénateur (centriste) tarnais Philippe Folliot. « Ce ne sont pas des punks à chiens » assure Cujives. Il en sait quelque chose. Sa propre fille, Victoria, 29 ans, faisait partie des 14 grévistes de la faim. « Elle n’avait jamais milité nulle part », assure ce proche d’Arnaud Montebourg.

Didier Cujives était l’un des rares élus locaux à manifester en avril sous la pluie avec son écharpe tricolore lors d’un premier rassemblement qui avait réuni plusieurs milliers d’opposants aux portes de Castres. L’ancien chef d’entreprise compare l’A69 au projet de deuxième aéroport de Toulouse, autre « grand projet inutile » contre lequel le maire de Paulhac s’était mobilisé il y a 20 ans déjà. « Je prends moins l’avion pour aller à Paris, j’essaie de prendre le train et je roule en voiture hybride » témoigne l’élu socialiste. Il relève que 11 élus du conseil départemental de la Haute-Garonne ont signé la pétition de Maxime Lacoste.

Le nouveau président (PS) du département, Sébastien Vincini, proche d’Olivier Faure, ne semble toutefois pas disposer à ouvrir un nouveau front avec son homologue du Tarn Christophe Ramond ou Carole Delga. Dans les rangs de la majorité régionale, les 14 élus communistes se déclarent opposés de longue date à une autoroute payante, mais ont préféré se réfugier dans l’abstention pour ne pas rompre l’alliance avec la présidente d’Occitanie. Aucun élu communiste ne sera présent à la manifestation ce week-end. Le petit groupe des 7 élus écologistes qui ont préféré rester dans la majorité de Carole Delga répète de son coté son opposition déclarée à l’A69 et sort de sa manche l’idée d’une « votation citoyenne », suggérée par José Bové durant la dernière campagne électorale.

Un « référendum » pour trancher le dialogue de sourds entre élus  ? Un sondage IFOP commandé par les opposants assure que 82% des personnes interrogées plébiscitent cette sortie non prévue sur les plans de l’A69. Selon cette étude d’opinion réalisée auprès d’un mini-échantillon de 600 habitants du Tarn et de la Haute-Garonne la semaine dernière, 61% des personnes interrogées se déclarent favorables à l’abandon d’un projet jugé « utile, mais pas indispensable » à 58%.

Carole Delga, plus que jamais Charlie

Gaëlle Paty est fugitivement montée sur scène devant près de 700 personnes réunies lundi soir à l’hôtel de région de Toulouse. La sœur de l’enseignant tué il y a trois ans a ensuite regagné sa place au premier rang, entre le recteur de l’académie de Toulouse Mostafa Fourar et Carole Delga. La présidente de région avait prévu de longue date de rendre hommage au prof d’histoire-géo à travers un livre qui célèbre sa mémoire. Crayon Noir est un roman graphique « qui mérite une grande diffusion » estime Patrick Cohen, le journaliste invité à animer la soirée dans la grande salle de l’espace Charles de Gaulle. « Il peut aider à toucher les jeunes consciences » ajoute l’avocat de Charlie Hebdo Richard Malka, autre invité de Carole Delga. « C’est un livre pas polémique qui se lit comme un thriller » assure Gaëlle Paty. Libraire à Marciac (Gers), elle confesse derrière ses lunettes rondes n’avoir jamais lu de romans graphiques auparavant.

Carole Delga lance la soirée avec une (vraie) minute de silence à la mémoire de Samuel Paty, Dominique Bernard « et l’honneur de la République ». La présidente de région donne le ton aussitôt après dans son discours. « Nous ne sommes pas de cette gauche qui baisse les yeux », lance tout de go cette opposante déclarée à Jean-Luc Mélenchon. Dans la journée, Carole Delga a signé une tribune avec d’autres élus opposés à l’accord électoral de la Nupes pour pousser le PS à rompre avec le leader de LFI, coupable à ses yeux de ne pas désigner le Hamas comme une organisation terroriste. « Nous avons une pensée pour les victimes du Hamas et du peuple palestinien lui aussi sous le joug islamiste », ajoute la présidente de région. A Toulouse, le parti de Jean-Luc Mélenchon appelait une heure plus tôt à se rassembler silencieusement devant le rectorat, en hommage aux deux enseignants « victimes du fanatisme religieux ».

Pour Carole Delga, c’est la République qui est visée. «  La République a fait l’école comme l’école a fait la République », estime cette héritière assumée de Jules Ferry et de la légende des « Hussards Noirs » célébrée par Charles Péguy. La présidente de la région Occitanie se présente aussi en héritière de la République espagnole. « La République, nous l’avons vu tomber. Ici, nous sommes plus proches de Barcelone et Madrid que de Paris », lance Carole Delga. Elle justifie avoir fait projeter les caricatures de Charlie Hebdo sur la façade des hôtels de région de Toulouse et Montpellier après l’attentat dont a été victime l’hebdomadaire satirique. « Certains nous l’ont reproché, mais ce n’était pas de la provocation » assure celle qui a encore tenu à inviter le directeur de Charlie Hebdo à ses Rencontres de la gauche à Bram (Aude) , quelques jours plus tôt. Pour enfoncer le clou, la résidente de région avait invité à sa soirée Iannis Roder. Ce prof agrégé d’histoire-géo en Seine-Saint-Denis indique avoir participé à un livre collectif prémonitoire il y a plus de vingt ans « qui n’a pas été pris au sérieux » à l’époque. « Ce matin encore, des élèves m’ont demandé pourquoi on organisait une minute de silence pour Dominique Bernard et pas pour les Palestiniens », témoigne cet enseignant engagé qui dirige l’Observatoire de l’Education à la Fondation Jean Jaurès. Carole Delga définit de son coté « l’esprit Charlie » comme une volonté « d’éducation populaire face aux menaces ».

La région Occitanie a acheté 500 exemplaires du Crayon Noir pour mettre ce roman graphique à disposition des lycéens. L’ouvrage a également reçu le soutien financer de la région Ile de France.